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     Chantier du métro, ligne 14, 22 h 42.

  

 

— Mettez les casques, s’il vous plaît !

Virgin s’exécute dans l’instant, sous le regard incrédule de Valentin.

— T’es un véritable boy-scout dans ton genre, s’amuse ce dernier.

— Je préfère être un boy-scout qu’avoir le crâne fendu, mais chacun son trip.

Valentin hausse les épaules, tout en s’engageant dans l’escalier métallique. Il suit au pas Ange, déjà quelques mètres plus bas. Le responsable du chantier laisse échapper sa colère.

— Eh, vous deux, vous n’êtes pas à une fête foraine. Les casques, bordel !

— Appelez les flics, ironise Valentin.

Virgin, derrière lui, essaye tant bien que mal de clipser sa jugulaire. Rien n’y fait, de quoi l’agacer. Le trajet fut une sinécure, pas une parole échangée avec sa supérieure muette comme une tombe. Si en plus, il doit passer pour un couillon de bleubite avec ce foutu casque, merci l’ambiance. Les marches se succèdent pour les conduire au cœur même du chantier, trente mètres plus bas. Un dernier essai de la part de Virgin, il manque de tomber et se rattrape de justesse au garde-corps. D’un geste énervé, il ôte son casque.

— Vous ne devriez pas, conseille le chef de chantier, à deux pas de lui.

Virgin se retourne et d’une mine irritée, l’apostrophe :

— Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?

L’homme se contente de lever son index, le temps pour Virgin de suivre du regard la fameuse direction et c’est le choc. Le voilà les fesses collées à la dernière marche, la vision encore trouble. La douleur vive dans son crâne s’estompe au profit d’une belle bosse sur son front. Un coup d’œil à l’aplomb le renseigne sur la responsable de son accident de parcours, une barre de métal placée bien trop bas à son goût et qui encadre l’ouverture finale. Valentin se campe devant lui et d’un ton railleur, lance :

— Quand on te dit de mettre ton casque, le nouveau, mets-le nom de Dieu !

Et il part dans un fou rire, loin d’être rejoint par Ange. Pour la première fois, elle s’adresse directement à Virgin.

— Lève-toi au lieu de faire le clown !

Rien de plus n’est ajouté, de quoi convaincre le jeune policier de se faire oublier de cette furie. Valentin l’aide à se redresser, tout en lui glissant à l’oreille :

— Elle t’a à la bonne.

Son air goguenard achève Virgin.

— C’est au bout, commente le chef de chantier.

Ange découvre le tunnel aux parois brutes. L’humidité suinte, doublée d’une étonnante fraîcheur pour ce mois de juin. De l’eau stagne au sol par endroits, mares de boue entourées d’un équipement conséquent en terme de forage. À l’arrière, le tunnelier occupe l’ensemble de la galerie de sa façade monstrueuse. Devant l’intérêt visible des policiers pour cet engin, le chef de chantier explique :

— Cette machine est capable de creuser plus de vingt mètres par jour sur seize de diamètre. Si seulement, on n’avait pas eu cette merde. On va prendre quinze jours de retard…

Il se tait, conscient de son manque de compassion, et pointe du doigt l’extrémité opposée du chantier. Quelques hommes patientent, adossés contre la paroi. Les visages trahissent la tension palpable du moment, la peur aussi. Deux policiers en uniforme les interrogent, deux autres protègent à bonne distance la scène de crime. L’ensemble est éclairé de trois projecteurs halogènes, trop peu au goût d’Ange qui aboie :

— On ne peut pas avoir plus de lumière ?

— Je peux faire installer plus de spots, si vous le désirez, répond le chef de chantier.

— Ce serait préférable. Comment voulez-vous que l’on enquête dans le noir ?

— Faut comprendre mes hommes. Depuis leur découverte, ils ne tiennent pas à s’approcher plus près.

Il lui tend une lampe torche éteinte, tout en expliquant :

— C’est au fond. Perso, moi je ne vais pas plus loin.

Ange se saisit de l’objet et s’enfonce dans la partie dénudée du tunnel. Un endroit fraîchement creusé, à en juger par cette pierre brute encore présente sur la paroi circulaire. Elle s’arrête soudain, bientôt rejointe par Valentin et Virgin. La pénombre du lieu laisse entrevoir un relief étonnant posé au sol de cette cavité parfaitement ronde. Une masse dont elle devine déjà la nature. Un mystère qu’Ange décide de lever sur le champ. Elle allume la lampe et la braque devant elle.

— Putain ! lâche aussitôt Valentin.

Un bruit résonne dans le tunnel, sonorité peu plaisante qui oblige Ange à changer de direction pour observer Virgin, plié en deux et dont les chaussures maculées d’une mixture indéfinissable signent son dégoût. Le jeune policier vient de se vomir dessus, pas de quoi le rendre fier, mais face à ce qu’il a découvert, il n’avait guère le choix.

— Ça, c’est fait, plaisante Valentin.

Ange ne répond pas, abandonne Virgin à son triste sort et revient sur sa macabre trouvaille. Un corps, du moins, ce qu’il en reste. Il est démembré, la tête arrachée et posée à deux pas, un œil manquant, l’autre encore attaché à son nerf optique et le bas de la mâchoire pendante. Pour couronner le tout, son ventre tout comme le torse sont ouverts en deux pour exposer les organes vitaux de la victime. Des organes qui, pour la plupart, sont absents. Un tableau digne des pires scènes d’horreur. Même Valentin, un vieux de la vieille, ne peut réprimer un haut-le-cœur, et cet imbécile de bleusaille qui ne cesse de dégobiller à deux pas de lui. Ange s’approche, détaille les blessures nombreuses du défunt, s’intéresse aux chairs déchiquetées. Valentin essaie d’oublier quelques secondes l’odeur intenable pour se concentrer sur le malheureux.

— Tu penses à quoi ?

Ange tend la lampe torche à son collègue et commande :

— Éclaire-moi.

Valentin s’exécute, alors que la policière enfile une paire de gants en latex. Elle soulève délicatement les pans de tissu déchirés, prend son temps pour examiner chaque détail, chaque lésion, avant de répondre :

— Tu as remarqué les blessures ?

— Oui.

— Ce n’est pas fait avec un cutter, ni même un couteau.

— Pas plus une arme à feu. Une tronçonneuse peut-être, comme pour l’affaire du boucher de Versailles ?

— Non, regarde, les chairs sont mâchouillées. Il manque une partie de ce type, on dirait qu’il a été attaqué par un animal sauvage, un fauve.

Elle se relève, le visage atteint d’une soudaine inquiétude arrache sèchement la lampe des mains de son coéquipier et fouille le sol.

— Qui y a-t-il ? demande Valentin.

...

 

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