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     La bête, l’authentique créature sauvage ne rôde pas à l’orée de la forêt. Elle n’attend pas sa proie, au fond d’un bois, cachée dans l’obscurité d’une nuit peu éclairée. Elle n’aime ni le sang ni la chair, pas plus le grand air. Elle n’existe pas pour survivre et jamais, de la
chasse, elle ne s’enivre.
La bête, l’authentique créature sauvage est enfouie en nous. Elle ne demande qu’à s’échapper, s’exprimer, exister. Rien ni personne ne peut
espérer la dominer, sinon nous-mêmes. Chaque jour, nous luttons pour la camoufler, de peur d’avouer notre incapacité à la contrôler. Elle est forte la diablesse, toujours prête, à l’affût de nos faiblesses, elle aimerait tant faire la fête.
La bête...

 

 

 

 

 

 

 

 

Je me rappelle de ce jour unique. J’avais décidé de grimper en haut d’une montagne aux abords de Grenoble. La grande loterie était lancée, où le gros caillou allait-il échouer ? De mon point culminant, je pourrais observer le phénomène aux premières loges. Une pensée étrange me traversa. Pas vraiment horrible, juste dérangeante. Et si l’astéroïde tombait ici, pile-poil sur moi ? Je vivais depuis si longtemps déjà. Sans doute devrais-je accueillir la chose comme une ultime délivrance. À mon arrivée à Chamrousse, je fus envahi d’une douce amertume. Pas mal de Grenoblois avaient eu, semblait-il, la même idée. Je n’étais pas seul. Pas moyen d’être tranquille, même pour le grand final. Je sortis de mon Opel coupé GT modèle 1967, sous le regard amusé de certains, envieux pour d’autres. Je devais être l’un des rares à posséder encore ce genre d’engin, mon côté rétro probablement. À présent, on roulait à l’hydrogène liquide, m’obligeant à modifier le moteur en conséquence.
À chaque évolution majeure, il me fallait quelques décennies pour m’accoutumer. À ce jour, cela n’avait guère d’importance, j’avais l’éternité devant moi pour apprendre. Les choses risquaient très prochainement de changer, bousculées par une bille grosse comme six terrains de foot.
Le soleil se coucha derrière la chaîne majestueuse du Vercors. La nuit profonde et étoilée offrit une vision splendide sur la ville qui commençait à s’illuminer. Une des dernières fois où le calme régnerait dans la capitale des Alpes. Une des personnes leva la main vers le ciel. Effectivement, Rédempteur apparut dans toute sa splendeur. Une petite balle vue d’ici, mais qui rapidement prendrait des proportions inquiétantes. Rédempteur, le nom me fit sourire, une fois de plus. Cette grosse pierre volante, je l’aurais plutôt nommée Libérateur.
― Bonjour.
La voix à mes côtés me surprit. Une belle rousse, taille mannequin, me fixait d’un regard dont j’appréhendais le contenu.
― Bonjour.
Un peu de politesse n’a jamais tué personne, surtout vis-à-vis d’une jolie femme.
― Je m’appelle Laurence.
― Jean, fis-je d’un air désintéressé.
― La nuit est douce, me répondit la charmeuse.
Je me tournai, la dévisageai. Je suis sûr qu’en cet instant, un frisson la parcourut. La noirceur de mes prunelles en était la probable cause, brillantes d’une lueur singulière, envieuse, affamée.
― On y va.
Impossible de la courtiser. Le temps nous était compté. Je devais la ferrer sans préambule au risque de la perdre. La franchise s’imposa. Après tout, n’était-elle pas l’instigatrice de cet étrange dialogue !
Malgré tout, elle m’offrit un regard médusé. Je me demandais bien pourquoi… elle n’attendait que ça. Mon don d’empathie ne pouvait me tromper. Amusant comme les êtres humains se cachent parfois derrière des principes dérisoires, pour ne pas dévoiler leur vraie nature.
― Je… oui, finit-elle par dire.
J’approchai, caressai sa peau douce, embrassai ses lèvres pulpeuses.
Elle sentait le jasmin, le soleil, elle transpirait la liberté, l’envie de vivre, une évasion prometteuse. J’entendais son coeur battre, ses veines véhiculer le désir. Je lui pris le poignet pour l’entraîner à l’arrière des bâtiments. Tous avaient l’oeil rivé sur l’astéroïde. Malgré la foule, nous étions seuls.
J’empruntai une galerie sombre, avant de coller la jeune beauté contre le mur. Mes mains, virtuoses séculaires, entamèrent leur symphonie flamboyante. Lentement, elles remontèrent le long de ce corps enflammé, profitèrent de cette peau élastique sans défaut, glissèrent vers les lieux protégés de cette beauté. La jeune femme n’était pas malhabile. Ses doigts savaient réveiller en moi le volcan endormi. La culotte, dentelle agréable de mon amante d’un soir, échoua au sol. J’entendis un vague « tu as mis une protection ? » entre deux murmures de plaisir. Réflexion des plus stupides, si l’on y songe. Un monstre minéral était sur le point d’anéantir une partie de l’humanité, et ma douce pensait à ce détail pour le moins saugrenu.
Elle ne devait pas s’inquiéter de cette broutille, nulle maladie ne pouvait m’atteindre. Quant à elle…
Je glissai une bouche affamée sur ses seins voluptueux, aux tétons affermis, léchant d’une langue avide sa gorge alors que ma main caressait son intimité profonde. Mes lèvres se collèrent sur son cou aux veines saillantes. Un appel au meurtre que je ne pouvais ignorer.
D’un coup sec, je plantai mes deux incisives dans la jugulaire de ma proie, alors même que je prenais possession d’elle. Une ivresse infinie m’envahit, mélange de sexe et de sang. Je profitai goulûment de l’offrande, accentuant les va-et-vient. La jeune femme ne résista pas, plongée dans un désir comateux. Ses bras avaient depuis longtemps abandonné toute révolte. Soudain, le plaisir explosa en moi, une ode puissante, un final dévastateur. Je tremblai comme une feuille morte ballottée au sein d’une violente tempête.
La paix retrouva enfin ses droits. Ma partenaire, livide, respirait doucement, un souffle à peine tangible. J’aurais pu l’achever. Il me suffisait de boire jusqu’à la dernière goutte son sang si frais, mais je n’en éprouvais aucune envie. Cette beauté venait de me procurer la plus exquise des jouissances, le plus adorable présent en cette soirée particulière. Alors, moi aussi, je décidai de lui donner un cadeau unique, celui de la vie éternelle. Un cadeau... pas sûr en ces temps incertains. D’un geste fébrile, je fouillai dans les poches de sa veste et notai son adresse. Les prochains jours seraient difficiles pour elle.
Un guide lui serait nécessaire pour comprendre les changements qui allaient s’opérer en elle. Je serai là. À condition que l’astéroïde, de sa justice incandescente, ne raye cette Terre.
Je la couchai délicatement au sol. Elle dormait du sommeil du juste. Le regard fier, je me dirigeai vers le parking. Le moment était venu de profiter d’un tout autre spectacle. J’arrivai juste à temps. Une traînée de feu déchira le ciel. Les « oh » se succédèrent parmi la foule de badauds. L’astéroïde s’éternisa dans sa dernière prestation. Il s’éloigna vers l’horizon et je dus l’avouer, cela me soulagea. Soudain, il disparut. Une luminescence brisa le voile opaque lointain.
Pourtant, nul bruit ne vint perturber la nuit étoilée. Après plusieurs secondes, je sentis un frémissement, imperceptible pour les autres.
Ma condition me permettait de communier avec cette Terre, j’en ressentais les afflictions. Le spectacle s’acheva. Plus aucune trace ne subsistait du passage de cet astre fantôme. Loin d’ici, sur un autre continent, le malheur se répandait telle la gangrène. Les villes étaient détruites, les forêts brûlées, les ponts balayés. La tourmente déchirait les corps pour les réduire en cendres. La mort prenait son essor.
― Tant de tapage pour ça, lança un jeune homme boutonneux.
Je fus presque tenté d’entraîner ce gamin blasé dans un coin sombre, afin de boire son sang pour lui procurer une sensation de terreur inégalée, mais j’étais repu. Gare à l’excès !
De toute manière, mon instinct sauvage m’éclairait sur l’avenir.
C’était loin d’être terminé. Ce n’était que le commencement, le début d’une nouvelle ère.
Je ne croyais pas si bien dire…

 

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